A onze heures les cloches sonnaient et j’ai accroché le drapeau, pour la première fois de ma vie je crois. Je le surveille du coin de l’œil, il ne faudrait pas que le vent le déchire, à bien en regarder la trame un peu usée il a dû appartenir à mon grand-père, celui que le gaz des tranchées avait prématurément vieilli et qui est mort quand j’avais cinq ans, il y a bien longtemps.
Je me souviens du sourire de cet homme taciturne quand il me prenait sur ses genoux pour lire le journal. Je pense que nous voir, mon frère et moi, était une joie qu’il appréciait à sa juste valeur : pour lui, la vie avait été la plus forte. Nos parents et grands-parents ne manquaient jamais de nous rappeler l’absurdité de la guerre et la grandeur de la paix.
Ma voisine qui déploie l’Union Jack me parle d’un grand oncle mort à Ypres à 21 ans. Je revois ces milliers de croix ou plaques blanches dans les plaines de Flandre, en Somme, en Marne, ailleurs encore, où nous nous arrêtions pour un bref hommage quand notre route les croisait. Mes parents avaient connu la deuxième guerre mondiale, mes grands-parents en avaient connu deux. Le récit de leurs souvenirs, l’évocation de ceux qui n’étaient pas revenus, la lecture éprouvante du roman de Dorgelès Les croix de bois, ponctuaient une enfance heureuse et préservée au cœur des golden sixties. D’autres guerres avaient lieu, paraissaient plus lointaines … après tout, nous étions des enfants.
Aujourd’hui d’autres guerres ruinent différents endroits de la planète, souvent dans l’indifférence internationale. Elles continuent de nous paraître lointaines, nous nous sentons impuissants. Au moins essayons d’écouter et comprendre, ouvrons nos oreilles et nos cœurs, signons des pétitions, choisissons avec soin nos élus, saluons et soutenons les initiatives multilatérales et de gouvernance mondiale. C’est déjà un début. Tout plutôt que le pessimisme et le découragement