L’effondrement d’un pont à Gênes vient secouer l’actualité somnolente de cette fin d’été. Les images sont spectaculaires, le bilan en victimes humaines est très lourd ; c’est une catastrophe, très proche : nous sommes nombreux à avoir roulé sur ce pont, un jour de vacances, départ ou retour, tandis que d’autres gens, des gens comme nous, l’empruntaient sans doute quotidiennement pour leur travail. Et puis, nous roulons tous sur de grands ponts, chefs d’oeuvre d’architectes et d’ingénieurs, il y en a partout, des pareils, des différents, des plus ou moins entretenus, des plus ou moins décrépits.
Les réactions immédiates paraissent totalement dépourvues d’empathie : on cherche un coupable, moins pour une explication factuelle que pour se laver de toute faute. Personne n’est responsable, c’est de toutes façons un autre, ou la fatalité. Les calculettes ont remplacé les cœurs, car si on trouve un coupable, pensez donc, il faudra qu’il paie. Et même si on n’en trouve pas, cela va coûter … tant de camions pour évacuer les débris, tant de maisons à reconstruire, tant de trafic embouteillé et d’activité économique entravée.
J’ai mal au cœur, physiquement. La fin de cet été étouffant, sans doute, il fait chaud derrière un clavier. Je mets plusieurs jours à me souvenir d’un cauchemar que je fais relativement souvent, moi qui prétend rêver peu. Je conduis une voiture qui à un moment quitte la route et descend lentement dans l’abîme. Si lentement … je sais que je vais mourir, et qu’il n’y a rien à faire. Mais moi bien sûr, j’ai la chance de me réveiller. Ces quarante personnes qui ont ainsi sombré, qu’ont-elles ressenti ? Est-ce faire du mélo que se poser la question ? Et même si par pudeur nous la gardons pour nous, si nous refusons le sensationnalisme qui va fleurir ici ou là, n’est-ce pas la seule première réaction qui conviendrait ?
Mais il y a tant de catastrophes, n’est-ce pas ? les morts par dizaines, par centaines ou en solo. Alors les images défilent, on ne sent plus rien, on ne fait pas grand-chose, on ne sait pas quoi faire d’ailleurs. J’espère qu’il y aura assez de personnes de par le monde qui liront l’histoire de ces gens, des gens comme nous, pour reprendre à leur compte un petit geste ou une grande idée qui était la flamme vive animant chacune de ces victimes. Pour continuer à les faire vivre en pensée, et à changer le monde, un tout petit peu.

Publié sur ma page FB personnelle le 17 août 2018
#changerlemonde #resterhumain